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*La disparition d’un journaliste, le mutisme des institutions et l’insolite « embargo sur la presse » pour « propos discourtois envers les chevaliers de la plume » transforment un fait divers inquiétant en une tragicomédie bureaucratique d’un autre âge
La presse de Bunia s’élève avec la plus ferme des consternations contre les événements survenus ce jeudi 28 août, et qui visent directement les fondements sacro-saints de la démocratie et du bon sens administratif. Le journaliste Rachid Kudra, collaborateur de la radio de l’Unibu et du portail d’information Actu-Service.com, n'est plus. Non pas qu’il ait trépassé, mais il a été soustrait au champ visuel de la raison par des individus dont le profil, la méthode et la destination finale relèvent d’un scénario d’une absurdité confondante, supposément orchestré par les services de l’Agence nationale de renseignements (ANR), et ce, pour un motif d’une futilité littéraire sans précédent.
Selon des sources primaires, concordantes et d’une fiabilité à toute épreuve, M. Kudra aurait été « intercepté » – un terme délicat pour signifier « appréhendé sans mandat visible » – par un groupe d’individus vêtus de tenues civiles. L’opération, d’une discrétion de mauvais aloi, contraste violemment avec le motif allégué de cette arrestation-expresse : un « possible malentendu » avec le maire de Bunia, lui-même instigateur d’un « embargo de la presse ». La raison profonde de cet embargo ? Des « propos discourtois » que le journaliste aurait tenus à l’encontre des « chevaliers de la plume ».
La rédaction, après consultation de ses plus éminents lexicologues et experts en rhétorique médiévale, s’interroge : à quel moment le délit d’opinion, fût-il discourtois, justifie-t-il une levée de l’immunité corporelle d’un citoyen ? Où est le décret, où est l’arrêté municipal qui officialise le crime de lèse-majesté journalistique et en définit les peines, parmi lesquelles l’enlèvement nocturne figurerait en option de base ?
UNE COMMUNICATION DE CRISE… INEXISTANTE, PREUVE D’UN MÉPRIS INSTITUTIONNALISÉ
Plus inquiétant encore, et c’est là que l’indignation atteint son paroxysme protocolaire, est le silence assourdissant des institutions concernées. À l’heure où nous mettons sous presse online, ni l’ANR – dont les agents sont directement mis en cause – ni la mairie de Bunia – dont le premier magistrat est à l’origine de cette séquence kafkaïenne – n’ont daigné produire le moindre communiqué, la plus infime note de service ou le début d’un fax visant à éclaircir la situation.
Ce mutisme n’est pas une simple faute de communication. C’est un acte politique grave. Il signifie, dans le langage codé de l’autoritarisme, que l’arbitraire est la règle et que le droit à l’information, y compris sur son propre sort, est une variable d’ajustement négligeable. Où est la fiche de prise en charge ? Où est l’accusé de réception de l’individu ? Où est le procès-verbal d’interpellation ? L’opacité est la mère de toutes les tyrannies.
UNE INDOORABLE MÉTAPHORE : L’« EMBARGO » COMME ARME DE CENSURE ABSOLUE
L’emploi du terme « embargo » par nos sources mérite une analyse sémantique approfondie. Un embargo est une mesure économique ou diplomatique bloquant des échanges. Ici, il est détourné pour signifier une censure pure et simple, appliquée non à des marchandises, mais à la parole. Pire, cet « embargo » ne semble pas viser un sujet sensible, mais la personne même du maire, érigé en entité supra-étatique dont l’honneur, froissé par des mots, justifierait la suspension des droits humains. Nous nous trouvons face à une privatisation de la loi et une nationalisation de la vengeance, le tout entouré d’un jargon pseudo-juridique qui n’a d’égal que son ineptie.
Face à ce déni de réalité, la presse de Bunia exige, avec la dernière énergie, la libération immédiate et sans condition de M. Rachid Kudra, et exige surtout qu’un document officiel, dûment estampillé et signé, vienne expliquer les raisons exactes de cette séquestration, en citant les articles de loi pertinents, si tant est qu’ils existent.
Outre cela, elle demande aux organisations de défense de la liberté de la presse (Reporters sans Frontières, JED, etc.) de ne pas seulement s’« investir dans le dossier », mais de le saisir avec la vigueur que mérite une telle pantalonnade sinistre. Il ne s’agit plus seulement de défendre un journaliste, mais de défendre la raison contre l’absurde armé.
Par ailleurs, elle somme l’ANR et la mairie de Bunia de rompre immédiatement ce silence coupable et de produire, dans les plus brefs délais, un communiqué conjoint ou séparé qui, au choix, présente des excuses formelles ou fournit des preuves tangibles du crime supposé de « discourtoisie », crime que nous nous proposons de faire inscrire au prochain concours Lépine des infractions imaginaires.
La presse de Bunia s’inquiète non seulement pour l’intégrité physique de M. Kudra – inquiétude primaire et légitime – mais aussi pour sa santé mentale, forcée de composer avec une logique administrative si aléatoire qu’elle en devient dangereuse.
L’enlèvement de Rachidi Kudra n’est pas qu’une attaque contre la liberté de la presse. C’est une offense à la logique, un attentat contre le bon sens, et une plongée vertigineuse dans un réalisme magique des plus sombres. Quand l’État abandonne le monopole de la violence légitime pour celui de la farce tragique, c’est toute l’architecture sociale qui vacille.
«Nous resterons, plus que jamais, vigilants. Nous exigeons des faits, des procédures, des paperasses, des signatures. Nous exigeons le retour au formalisme bureaucratique le plus strict, car celui-ci, aussi lourd soit-il, est infiniment préférable à l’arbitraire qui se cache derrière le silence et l’enlèvement au crépuscule», indiquent les journalistes proches de la victime.
Makati Élie et Stony Mulumba Sha Mbuyi/Express medias
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